Miss Hawkline
Miss Hawkline les attendait dans cette énorme maison jaune et glaciale… dans l’Oregon de l’est… au moment même où ils se procuraient l’argent du voyage dans le quartier chinois de San Francisco, en tuant un Chinois qu’une bande d’autres Chinois voulaient descendre.
C’était un dur, ce Chinois, et les autres avaient offert à Greer et à Cameron soixante-quinze dollars pour l’assassiner.
Miss Hawkline était assise toute nue sur le plancher d’une pièce emplie d’instruments de musique et de lampes à pétrole qui brûlaient faiblement. Elle était assise à côté d’une harpe. Une lumière inhabituelle brillait sur les clefs de cette harpe, et cette lumière possédait une ombre.
Dehors, des coyotes hurlaient.
Les ombres des instruments de musique, déformées par les lampes, dessinaient sur son corps un motif exotique, et un énorme feu de bois brûlait dans la cheminée. Ce feu semblait de taille démesurée mais il était indispensable car la maison était glaciale.
On frappa à la porte.
Miss Hawkline tourna la tête.
— Oui ? dit-elle.
— Le dîner sera prêt dans quelques instants, dit la voix d’un vieillard à travers la porte.
L’homme n’entra pas dans la pièce. Il attendait derrière la porte.
— Merci, Mr. Morgan, répondit-elle.
On entendit alors d’énormes bruits de pas s’éloigner dans le couloir, avant de disparaître derrière une autre porte.
Les coyotes étaient tout près de la maison. A les entendre, on aurait même cru qu’ils étaient sous le porche.
— Nous donner soixante-quinze dollars. Vous tuer, avait dit le chef des Chinois.
Cinq ou six Chinois étaient assis avec eux, autour de la même table. Une odeur de mauvaise cuisine chinoise empestait l’air.
En entendant la somme offerte, Greer et Cameron échangèrent un de leurs petits sourires froids qui précipitaient toujours les événements.
— Deux cents dollars, dit le chef des Chinois, sans que son visage ne change d’expression. C’était un Chinois très malin et il était pour cette raison le chef de la bande.
— Deux cent cinquante dollars. Où il est ? dit Greer.
— A côté, dit le chef des Chinois.
Greer et Cameron sortirent et le tuèrent. Ils ne surent jamais si ce Chinois pouvait être dangereux, car ils ne lui en laissèrent pas l’occasion. C’est ainsi qu’ils travaillaient. Ils tuaient sans fioritures.
Pendant qu’ils s’occupaient de leur Chinois, Miss Hawkline continuait à les attendre, assise toute nue sur le plancher d’une pièce obscurcie par les ombres d’instruments de musique. Grâce aux lampes, les ombres jouaient sur son corps, dans cette immense maison de l’Oregon de l’est.
Il y avait aussi dans cette pièce quelque chose d’autre. Cette chose la regardait et prenait beaucoup de plaisir à contempler la nudité de son corps. Elle ignorait cette présence. Elle ignorait également qu’elle était nue. Si elle l’avait su, elle aurait été très gênée. Elle était une jeune personne tout à fait convenable malgré le langage pittoresque qu’elle avait hérité de son père.
Miss Hawkline pensait à Greer et à Cameron. Elle ne les avait jamais vus, elle ne savait rien d’eux, mais elle les attendait éternellement. Ils étaient destinés à venir car elle faisait partie de leur avenir gothique.
Le lendemain matin, Greer et Cameron prirent le train de Portland, Oregon. Il faisait un temps splendide. Ils étaient ravis d’aller à Portland en chemin de fer.
— Ça fait combien de fois ? demanda Greer.
— On a traversé la ville 8 fois et on s’y est arrêté 6, répondit Cameron.